Comment la foule fait gagner les athlètes français aux JO ? De la physiologie à l'ésotérisme, en passant par la psychologie sociale...
C'est officiel : avec 44 médailles, la France dépasse son record de Pékin. Dans une ambiance "exceptionnelle" et "fantastique" - pour reprendre les deux mots les plus employés par les journalistes, les athlètes français foulent régulièrement les podiums olympiques. L'occasion pour moi de revenir sur l'influence du comportement du public dans ces performances sportives. Décryptage.
Un peu de physiologie pour comprendre l'influence de la foule
L'effet de la musique jouée dans les gradins
Il y a d'abord les sons et la musique. La neurobiologie et les sciences du sport ont, notamment étudié ces effets. On parle d'ailleurs d'effet "égorgénique" pour qualifier ce qui est engendré positivement et améliore le travail musculaire. En effet, plusieurs études ont démontré l'impact positif de la musique sur les performances sportives (Karageorghis et Terry, 1997). La musique permet ainsi :
d'augmenter la motivation et l'excitation ("arousal" en anglais), ce qui est crucial pour la performance sportive. Des études montrent que des rythmes rapides et des mélodies stimulantes peuvent améliorer les performances physiques en augmentant le rythme cardiaque des athlètes.
de favoriser un état de dissociation : La musique permet aux athlètes de se dissocier de sensations inconfortables comme la fatigue et la douleur. En se concentrant sur la musique, les athlètes peuvent améliorer leur endurance et persévérer plus longtemps.
de mieux réguler les émotions : La musique peut aider à réguler les émotions avant et pendant les compétitions. Des morceaux apaisants peuvent réduire l'anxiété et le stress, tandis que des morceaux dynamiques peuvent renforcer l'enthousiasme et l'énergie.
L'ambiance du public et foule synchronisée
Pour les athlètes qui, à l'image d'une Simone Biles victime de "twisties", se sont sentis très seuls car sans public lors des derniers JO de Tokyo, nul n'est besoin de démontrer l'importance de performer devant un public... Loin d'être anecdotique, la présence d'un public peut améliorer la performance des athlètes sur des tâches bien maîtrisées, en raison de l'augmentation de l'excitation et de la motivation (Zajonc, 1965).
Les acclamations, cris, musique et battements synchornisés peuvent également influencer positivement la performance des sportifs, notamment des cyclistes et coureurs par leur aspects synchronisés (Simpson and Karageorghis, 2006).
A noter, toutefois, si la présence du public peut augmenter la performance, elle peut également ajouter une pression supplémentaire qui peut nuire à la performance, surtout si les attentes sont très élevées (Baumeister, 1984).
Les effets neurobiologiques des sons
Les sons et la musique peuvent activer le système nerveux autonome, augmentant la fréquence cardiaque et la libération d'adrénaline, ce qui prépare le corps à des performances physiques intenses (Thompson, Schellenberg, & Husain, 2001). Il y a donc un aspect direct et physiologique sur le corps et la performance. Ne pas oublier non plus que les neurotransmetteurs comme la dopamine et la sérotonine sont fortement influencés par la musique. En étant stimulés, ils améliorent l'humeur et la motivation, contribuant ainsi à de meilleures performances (Salimpoor et al., 2011).
De la psychologie pour comprendre les phénomènes de contagion émotionnelle dans la foule
D'un point de vue émotionnel, les émotions du public peuvent se transmettre aux athlètes, les encouragements et les acclamations pouvant augmenter la confiance en soi et la détermination (Hatfield, Cacioppo, & Rapson, 1993). Ce qui est positif ici, la performance améliorée des sportifs, fonctionne également négativement. Par exemple, les émotions négatives d'une foule se propage également rapidement. C'est ce que l'on observe dans le cas des émeutes, par exemple.
Quoiqu'il en soit, se crée un climat émotionnel intense qui dépasse l'effet de simples émotions individuelles. Cette propagation amplifie l'énergie globale de la foule. Sans doute que cet effet de contagion émotionnelle est l'une des premières conséquences palpables de notre "grégarité". En effet, pour survivre homo sapiens a développé des stratégies de survie dépendante de la coopération et des interactions sociales au sein de son groupe. Nous sommes d'ailleurs "câblés" en ce sens grâce à nos neurones miroirs.
L’Homo sapiens est un animal grégaire, câblé de neurones miroirs, il ne peut s’empêcher de se conformer aux attitudes ambiantes. Nous sommes particulièrement sensibles au regard des autres. (Ce que les mots et les gestes disent des autres, p 68).
Si vous me suivez, vous savez également l'importance des mimiques, expressions faciales, postures corporelles et intonations de voix dans l'état émotionnel des individus et leur nature contagieuse. (Hatfield, Cacioppo, & Rapson (1993).
Parlons également de l'état de "flow". Ce terme a été inventé par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi pour décrire un état élevé de performance et de satisfaction personnelle. On peut également parler de "flow collectif" lorsque les spectateurs et les athlètes partagent une expérience synchronisée et intense. Cet état collectif peut renforcer l'énergie perçue, car l'engagement et l'excitation sont partagés à travers le groupe. Dans ce cas d'ailleurs, le niveau hormonal de dopamine et d'ocytocine atteint un pic : d'où la sensation d'être envahi par une vague collective de chaleur et de bonheur.
La notion d'egrégore, plus ésotérique, pour évoquer les effets de la foule sur les comportements
Ce qu'en disent les pères de la psychologie
Gustave Le Bon, le fameux sociologue et psychologue social français, considéré comme un pionnier dans l'étude des foules, parlait lui "d'âme collective". Son ouvrage "Psychologie des foules" (1895) est une référence fondamentale sur ce sujet. C'est l'un des premiers à avoir suggéré que la totalité de la foule dépasse l'addition des entités individuelles. Pour Le Bon, les individus, en faisant partie d'une foule, acquièrent une "âme collective" qui les fait penser, sentir et agir différemment de ce qu'ils feraient isolément. Cette âme collective tend à être plus primitive, émotionnelle et irrationnelle. Il développe aussi la notion de responsabilité diminuée dans une masse indistincte et anonymes. Ce qui explique certains comportements extrêmes. Ces mêmes foules sont suggestibles. Elles peuvent être facilement manipulées par des "leaders d'opinion".
Pour Sigmund Freud, le constat sera le même. Simplement, dans "Psychologie des masses et analyse du moi" (1921), Freud suggère d'évoquer la notion d'inconscient collectif. Phénomène qui sera décrit par de nombreux chercheurs, notamment lors de la montée du nazisme en Allemagne.
L'égrégore : une notion davantage ésotérique
Origine du mot "égrégore"
Le mot "égrégore" provient du grec ancien "ἐγρήγορος" (egrégoros), qui signifie "veilleur" ou "gardien". Mais on peut aussi le rapprocher du verbe "évéiller", "réveiller", voire même au participe "être réveillé".
Ce terme apparaît dans la littérature apocalyptique juive, notamment dans le Livre d'Hénoch, où il désigne les anges déchus qui veillaient sur l'humanité. Au fil du temps, le terme a été réinterprété dans les traditions ésotériques et occultes pour désigner une forme d'énergie collective ou une entité psychique issue de la pensée et des émotions humaines partagées.
Définition du mot "égrégore"
On pourrait traduire le terme par "énergie collective"., voire même par la notion d' "entité collective", formée par les pensées, les émotions et les intentions d'un groupe de personnes. Ainsi, l'égrégore serait une force ou une entité qui émerge lorsqu'un groupe de personnes partage une intention commune, créant ainsi une énergie collective plus grande que la somme de ses parties.
Des termes différents pour un même phénomène
Que l'on parle "d'âme collective", ou de "psyché collective" (Le Bon) ou "d'insconscient collectif" (Freud) ou de "flow" (Csikszentmihalyi), on parle bien de la même chose, à savoir la capacité d'un collectif à ne faire qu'un dans une orientation précise, la masse dépassant les intentions individuelles, ou les réunissant à un niveau plus fort. L'adage "l'union fait la force" souligne sans doute cet aspect énergétique ou les émotions et le mental des individus se combine pour créer une force collective plus puissante. En psychologie sociale, on parle également de "facilitation sociale", en plus du concept de "contagion émotionnelle". Dans un contexte sportif en particulier, la présence d'une foule renforce l'excitation et la motivation des athlètes, les poussant à se dépasser.
Voilà de quoi un peu mieux comprendre les ressorts comportementaux à l'oeuvre dans ces épreuves sportives.