Le nudge appliqué à la linguistique : comment les mots et le langage influencent vos comportements ou la magie de la neurocommunication

J'aime à me rappeler de cette citation d'Aldous Huxley, qui apparait sous le chapitre 4 de mon ouvrage Anti Bullshit : « Les mots sont magiques en ce sens qu’ils influent sur les cerveaux de ceux qui les utilisent. » On ne peut mieux introduire le propos qui nous intéresse ici.

Le nudge pour influencer et modifier nos comportements

Le concept de "nudge" ("coup de pouce" littéralement), popularisé par Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein dans leur ouvrage "Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness", désigne une approche de la modification comportementale qui oriente les choix des individus de manière subtile sans en restreindre les options. Ce mémo détaille les différents leviers utilisés par le nudge pour encourager des comportements spécifiques sans contrainte directe.

C’est le mot mis en lumière en cette année 2021. Afin d’accélérer la campagne de vaccination, le gouvernement ferait appel au « nudge » pour convaincre plus rapidement les Français. Dans différents articles, certains experts ont pris la parole pour expliciter ce qui se trame der- rière cet anglicisme. C’est le professeur Harry C. Triandis, pionnier en psychologie interculturelle et comportementale, qui a développé cette approche cognitive. Le terme « nudge » se traduit littéralement par « coup de coude », et renvoie à l’expression française « coup de pouce ». Cette incitation douce permet de modifier nos comportements, à notre insu, en jouant sur nos biais cognitifs. La sortie en 2008 du livre de Richard Thaler et Cass Sunstein vulgarise la notion auprès du grand public. Selon ces auteurs, certains comportements humains sont inadap- tés, voire dangereux. Il s’agit donc d’utiliser biais et barrières cognitives pour influencer la prise de décision et susciter un comportement jugé bénéfique pour la personne. Ils précisent : « un aspect de l’architecture du choix qui modifie le comportement des gens d’une manière prévisible sans leur interdire aucune option ou modifier de manière significative leurs motivations économiques (...). Mettre l’évidence directement sous les yeux est considéré comme un coup de pouce. Interdire uniquement ce qu’il ne faut pas faire ou choisir ne fonctionne pas ». (Source : Anti Bullshit)

Prenons une problématique collective. Par exemple, la sauvegarde de l’environnement et la préservation des espèces. Les psychologues Geoffroy Beattie et Laura Macguire ont démontré que les campagnes de sensibilisation rationnelles échouent. En revanche, celles qui parlent un langage émotionnel et associatif réussissent. Plusieurs stratégies semblent effectives, nous les appelerons LEVIERS. Pour en savoir plus sur la manière dont les mots influencent nos perceptions dans le débat écologique, c'est ici.

Les leviers utilisés par le nudge pour influencer

Voici une liste (non exhaustive) des leviers qui agissent sur nos comportements, à notre insu.

Dans un premier temps, voyons les leviers comportementaux :

  1. La comparaison sociale : Elle implique de présenter des informations sur les comportements d'autres individus pour encourager ou dissuader certaines actions. Par exemple, informer les consommateurs que la majorité de leurs voisins consomment moins d'énergie peut les inciter à réduire leur propre consommation. Par exemple, à Londres, les voitures les moins polluantes sont reconnaissables à leur plaque d’immatriculation verte. Voici un nudge qui permet, l’air de rien, de créer un ressort grégaire lié au statut et à la reconnaissance.

  2. FOMO (Fear Of Missing Out) : la peur de rater quelque chose est un levier efficace, surtout dans le marketing et la promotion de comportements socialement désirables. En soulignant ce que les autres ont déjà adopté ou les bénéfices immédiats d'une action, les individus sont motivés à suivre pour ne pas "manquer" ces avantages.

  3. Le renforcement positif : cela inclut l'offre de récompenses ou de feedback positif après qu'un comportement désirable est observé. Ceci est souvent utilisé dans les programmes de fidélité ou les applications de santé qui récompensent les utilisateurs pour des comportements sains.

  4. Le choix par défaut : En configurant des choix bénéfiques comme options par défaut, les individus sont plus susceptibles de les adopter sans effort supplémentaire. Par exemple, l'inscription automatique à des plans de retraite augmente la participation.

  5. L'Aléatoire : L'utilisation de l'aléatoire, comme dans les loteries de santé où les comportements sains peuvent mener à des récompenses aléatoires, exploite l'attrait du jeu et l'excitation de l'inattendu pour encourager des actions spécifiques.

  6. Les Micro-engagements : on se rappelera la théorie du pied-dans-la-porte développée (et testée sans modération :) par Beauvois et Joule. Cela consiste à encourager les individus à prendre de petits engagements qui, progressivement, les mènent à des changements de comportement plus significatifs. Par exemple, inciter quelqu'un à essayer un produit écologique gratuitement peut le conduire à adopter des habitudes de consommation plus durables à long terme. Ou encore demander l'heure avant de demander quelques chose de plus important ensuite.


Désormais, regardons les nudges davantage applicables dans un contexte de communication :

  1. Simplicité, détails et concret :

    La simplification des processus et la clarification des informations sont cruciales pour encourager les comportements souhaités. Un exemple en est la conception de formulaires d'impôts simplifiés permet d'augmenter les taux de conformité fiscale. Cela nous rapelle la méthode FALC (Facile à Lire et à Comprendre). En effet, donner des clés précises, détaillées et concrètes sur les bons comportements à adopter facilite leur émergence. Par exemple, évoquer la menace inhibe les comportements. Mieux vaut parler positivement de ce qu’il y a concrètement à réaliser.

  2. Le pouvoir des émotions : La peur est très souvent utilisée dans les campagnes de sensibilisation alors que, souvent négligées est efficaces, de même que le dégoput Les émotions positives, elles, sont également efficaces.

  3. Le sentiment d'urgence :

    Créer un sentiment d'urgence peut inciter les individus à agir immédiatement plutôt qu'à retarder. Les messages soulignant un temps limité pour agir ou des offres disponibles pour une durée limitée utilisent ce levier. Les "dès aujourd'hui" ou "maintenant" ou encore "sans plus attendre" ne sont donc pas anodins...

  4. Rédiger à partir de l'expérience des personnes : Prenons l’exemple de personnes qui fument. Plutôt que d’arriver avec un discours moralisateur tout fait, demandez à votre interlocuteur « parle- moi de ta première cigarette », ou bien « quel est ton pire/meilleur souvenir en tant que fumeur ? » Cela l’oblige à sortir des opinions toutes faites et généralistes. Il va vous répondre à partir de ses vraies émotions et expériences. Paradoxalement, c’est une manière de l’amener plus facilement à prendre du recul et à analyser sa situation.

  5. Le choix des mots et des métaphores, encore appelé Encadrement (Framing) ou encore Cadre conceptuel ou cognitif:

    Le framing influence la manière dont les options sont présentées. Les choix peuvent paraître plus ou moins attrayants selon leur description, influençant ainsi la décision finale. Le choix d'un mot vient également influencer notre perception car il crée un cadre cognitif particulier, positif ou négatif.

  6. Un discours qui a du sens sinon rien :

Selon Sébastien Bohler, notre issue de sortie face à la crise environne- mentale réside dans ce lieu de résonance avec la symbolique et le sen- timent d’appartenance au groupe. La clé, c’est de redonner du sens par le sacré. C’est-à-dire cultiver l’émerveillement, réaffirmer des valeurs morales et collectives, retransmettre une mythologie en résonance avec la vie des hommes. C’est pour cela d’ailleurs, que la question du sens – du Why disent les Anglo-Saxons – est centrale. Nous l’avons vu, un storytelling éthique ce n’est pas simplement raconter une histoire. C’est rendre compte de quelque chose de plus grand que soi. L’auteur américain Simon Sinek nous le rappelle : « Ce que les gens achètent, ce n’est pas ce que vous faites mais pourquoi vous le faites. » Nous développerons ce réenchantement du monde dans le dernier chapitre de cet ouvrage. (Source : Anti Bullshit)

Sinon pour voir des exemples concrets de nudge dans notre vie de tous les jours, qui passent souvent inaperçus, c'est ici !

Passer du nudge à la neurocommunication

Si vous souhaitez sensibiliser vos équipes à la manière de "ficeler" des communications impactantes, vous pouvez me contacter via Linkedin.


Voici une infographie sur ce thème, réalisée pour l'un de mes clients.

Du nudge à la neurocommunication pour des discours et présentations ppt importantes

Elodie Mielczareck

ELODIE MIELCZARECK est sémiologue. Après un double cursus universitaire en lettres et linguistique, elle s'est spécialisée dans le langage et le « body language ». Également formée aux techniques de négociation du RAID et au neurocognitivisme, elle est conférencière sur le thème du non-verbal et de l'intelligence relationnelle, conseille des dirigeants d'entre-prise et accompagne certaines agences de communication et de relations publiques internationales. Très régulièrement sollicitée par les médias, elle décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est l'auteure de Déjouez les manipulateurs (Nouveau Monde, 2016), de La Stratégie du caméléon (Cherche-Midi, 2019), de Human Decoder (Courrier du Livre, 2021), et de Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

https://www.elodie-mielczareck.com
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