Les mots verts : quand mots et maux de l'écologie se rejoignent

Dans cet article, j'aimerais revenir sur un certain nombre d'aspects qui concernent la manière dont on communique sur l'écologie. Il s'agira donc de revenir sur certains points de sémantiques, mais également d'évoquer le paradoxe de Lanschester, qui concerne les militants écologistes. J'aborderai également la manière dont l'écologie est évoquée par Pascal Praud, sur Cnews.

Les mots verts de l'écologie ou la sémantique verte (enfin surtout verdie)

Est-il besoin de revenir sur l'importance des mots choisis dès que l'on s'empare de la question écologique et que l'on entre dans le débat public ? On va dire que oui...

Petit rappel des théories linguistiques importantes pour comprendre l'enjeu des mots verts dans le débat public

Pour rappel, la linguistique considère que la "neutralité" des mots est fictive : elle n'existe pas. Un mot étant toujours connoté et empreint de certaines représentations sous-jacente. Les mots sont bien plus que de simples outils de communication ; ils sont des instruments puissants qui structurent notre pensée, véhiculent des idéologies et orientent notre perception de la réalité. Le langage, au sein de l'espace public, est souvent utilisé pour influencer, manipuler et contrôler les idées et les croyances au sein d'une société. De ce point de vue là, le moindre événement politique donne toujours lieu à une guerre des mots. Pour en savoir plus, vous pouvez aussi lire cet article sur les meilleures théories du langage.

1. Ferdinand de Saussure : La nature arbitraire du signe linguistique

Tout commence avec Ferdinand de Saussure, souvent considéré comme le père de la linguistique moderne, qui propose une théorie du signe linguistique inédite dans son "Cours de linguistique générale" (1916). Selon Saussure, le lien entre le signifiant (la forme du mot) et le signifié (le concept) est arbitraire, ce qui signifie que le sens des mots est construit socialement et culturellement. Cette nature arbitraire permet aux mots d'être chargés de différentes significations et idéologies selon les contextes et les usages.

2. Roland Barthes : Le langage comme système idéologique

Roland Barthes, dans ses "Mythologies" (1957), explore comment les signes et les symboles véhiculent des idéologies. Pour Barthes, le langage est un système de signes où chaque mot, image ou récit peut être chargé d'une signification idéologique. Il analyse par exemple le traitement médiatique de la culture populaire pour montrer comment des significations apparemment neutres peuvent en réalité perpétuer des idéologies dominantes.

Par exemple, il démontre comment un reportage de Paris Match, ou une publicité pour lessive, entretient des représentations qu'ils nomment "petites bourgeoises". Le langage devient ainsi un outil de pouvoir et de contrôle social, façonnant nos perceptions et renforçant des structures de pouvoir existantes.

3. Michel Foucault : Le discours et le pouvoir

Dans "L'archéologie du savoir" (1969) et "Surveiller et punir" (1975), Foucault examine comment les discours, qui sont des ensembles de déclarations et d'idées, jouent un rôle crucial dans la formation des connaissances et le maintien du pouvoir. Foucault soutient que les discours ne sont pas seulement des moyens de communication, mais des instruments de pouvoir qui définissent ce qui est considéré comme vrai ou faux, normal ou anormal. Les mots et les discours structurent ainsi les relations de pouvoir au sein de la société.

Par exemple, l'homosexualité a été longtemps considérée comme une maladie mentale par la psychiatrie, un discours qui a justifié des traitements médicaux et des stigmatisations sociales. En définissant ce qui est normal ou anormal, le discours médical exerce un pouvoir sur les corps et les comportements, façonnant ainsi les normes sociales et les perceptions de la santé.

4. Jacques Derrida : La déconstruction du langage

Jacques Derrida, fondateur de la déconstruction, soutient que les textes et les discours contiennent des contradictions internes et des ambiguïtés. Dans des œuvres comme "De la grammatologie" (1967), il démontre comment les mots peuvent avoir des significations multiples et conflictuelles, remettant en question la stabilité et l'objectivité des significations. Selon lui, la chaîne de signification est infinie et jamais réellement stabilisée, car les signifiants ne font que renvoyer à d'autres signifiants.

Par exemple, Derrida analyse comment des textes fondateurs, comme la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (1789), sont porteurs de significations multiples et parfois contradictoires. La déconstruction révèle que des termes comme "homme" et "citoyen" peuvent être inclusifs en apparence mais exclusifs dans leur application historique, en marginalisant par exemple les femmes et les esclaves. Derrida montre ainsi que le langage juridique et politique, bien qu'il prétende à l'universalité, contient des ambiguïtés et des contradictions qui reflètent des idéologies spécifiques.

5. Pierre Bourdieu : Le langage et le pouvoir symbolique

Pierre Bourdieu, dans son ouvrage "Ce que parler veut dire" (1982), explore le concept de pouvoir symbolique et la manière dont le langage contribue à sa reproduction. Bourdieu affirme que le langage est un moyen de distinction sociale et de légitimation du pouvoir. Les mots et les expressions utilisés par différentes classes sociales peuvent renforcer les hiérarchies sociales et légitimer les positions de pouvoir.

Par exemple, l'usage de termes techniques et de jargons spécialisés dans les universités peut exclure ceux qui n'ont pas le capital culturel nécessaire pour les comprendre. Cela renforce les hiérarchies sociales et légitime le pouvoir des élites intellectuelles. Ainsi, le langage académique devient un moyen de distinction sociale et de maintien du pouvoir symbolique.

6. Noam Chomsky : La fabrication du consentement et la manipulation par le langage

Dans ses travaux sur la linguistique et la critique des médias, comme "Manufacturing Consent" (1988) coécrit avec Edward S. Herman, Chomsky souligne que le langage est utilisé pour manipuler l'opinion publique et fabriquer le consentement. Chomsky montre comment les médias de masse, à travers le choix des mots et la structuration des discours, peuvent orienter l'opinion publique pour servir des intérêts politiques et économiques spécifiques.

Par exemple, l'usage de termes comme "terroriste" contre "combattant de la liberté" peut influencer notre perception de certains conflits et justifier certaines actions politiques. Plus précisément, lors de la guerre du Vietnam, les termes utilisés pour décrire les actions américaines ("opérations de pacification") versus celles des Viet Cong ("terrorisme") ont influencé la perception du public sur la légitimité des actions de chaque camp. Les médias, en choisissant leur langage, fabriquent ainsi le consentement pour les politiques gouvernementales. Nous avons vu et lu de tristes exemples de ce type dernièrment en France, dans le cadre du conflit israélo-paléstinien. A la guerre humaine se superpose la guerre des mots.

7. George Lakoff : Les métaphores et la structuration de la pensée

Dans la même veine, George Lakoff démontre comment les métaphores orientent notre compréhension des concepts abstraits par des références à des expériences concrètes.

Par exemple,  une métaphore courante est celle de la nation comme une famille, où le gouvernement est vu comme un parent. Cette métaphore influence les politiques publiques : les conservateurs préfèrent la métaphore du "père strict" (discipline, responsabilité individuelle), tandis que les progressistes privilégient celle du "parent nourricier" (soins, soutien collectif). Ces métaphores orientent les débats politiques et les choix de politiques publiques, en structurant comment nous comprenons le rôle du gouvernement et des citoyens.

Les mots-arnaques de l'écologie ou les maux verts

De mon côté, voici une petite liste (non exhaustive) des mots que j'ai repérés comme étant de véritables arnaques conceptuelles. Ces mots devraient nous faire vibrer l'oreille : ils ont pour objectifs d'amoindrir nos craintes et de relativiser notre impact.

  1. L'expression "développement durable" : elle permet de conjurer la notion de dé-croissance. Si le développement est durable, alors il est même impossible de remettre en cause le développement économique, industriel et capitalistique.

  2. L'expression "énergie propre" ou encore "charbon propre" permet d'évacuer la dimension polluante de cette énergie, alors même que l'on reste sur des énergies fossiles. Cela permet également de donner une image positive et honnête des industries polluantes.

  3. Ma préférée est celle-ci : "transition écologique". Le vocable "transition" sous-entend un changement préparé, maîtrisé, progressif, tout en douceur. Cela permet de calmer les craintes et les esprits. Et enferme tout débat sur des décisions plus radicales. On pourrait pourtant penser que ce qui nous attend n'a rien à voir avec une supposée transition douce, mais plutôt une révolution voire un cataclysme. Ces idées mêmes sont nommées "catastrophisme" ou "survivalisme". Mais si elles étaient simplement "réalistes" ?

  4. L'explosion du suffixe "éco" au mot "terrorisme" devrait également nous interroger car le mot désigne souvent du vandalisme (destruction de matériel) et non d'être humains. Aspect que je développe ci-dessous dans le paradoxe de Lanchester. Les écologistes sont ainsi devenu en l'espace de quelques mois des écoterroristes. Une manière de rendre les militants puants.

  5. La notion d' "impact carbone" véhicule un pouvoir symbolique en individualisant la responsabilité des émissions de gaz à effet de serre. Cela permet de détourner l'attention des responsabilités plus larges des entreprises et des gouvernements. Le langage peut ici servir à maintenir les structures de pouvoir défaillantes, tout en plaçant le fardeau du changement sur les individus plutôt que sur les institutions les plus puissantes.

  6. De même, le terme "éco-citoyen" sous-entend "bon citoyen", le discours écologique exerce ainsi un contrôle social subtil, incitant les individus à adopter des comportements spécifiques sans remettre en question les structures économiques et politiques sous-jacentes qui contribuent à la crise écologique. Exemple concret : je me casse la nénétte à faire le tri sélectif, mais cela a-t-il réellement un impact si les entreprises ne le font pas ? Je précise tout de même continuer à le faire.

  7. Remplacer les mots par un autre pour minimiser l'impact du nucléaire :

C’est ce qui s’est passé en 2009 quand, interrogé par une journaliste sur l’impact des rejets radioactifs autour de l’usine de retraitement de la Hague (Manche), le responsable prélèvements/environnement chez Areva refuse d’employer le terme de « contamination ». Privé du terme adéquat de « contamination », l’homme peine alors à qualifier les concentrations de krypton 85 et de tritium mesurées autour du site : « Je ne parlerais pas de contamination. Moi je parle d’absence d’impact... Enfin il y a...euh... » il reste démuni (...) (Source : site Sortir du nucléaire)

Quelques remarques :

  • On notera l'absence significative du vocabulaire pour décrire les violences envers les animaux (de compagnie, en passant par les oiseaux, sans oublier les pieuvres). Et l'absence même de ces questionnements au sein de l'espace public, à la veille pourtant des éléctions européennes. Ce sujet n'est abordé par aucun candidats. Petite pensée pour le parti animaliste qui ne semble pas jouir de la même exposition médiatique que les autres partis.

  • On notera également la proéminence des oxymores dans le discours soi-disant écologiste :

Dans un monde où l’on peut dire dans la même phrase tout et son contraire (oxymore), où l’on peut mettre au même niveau des éléments distincts (zeugme), et où l’on peut agir dans un autre sens que celui de ses paroles (dissonance cognitive), il nous semble opportun d’analyser le fonctionnement des mots pour soulever les maux. (Source : Anti Bullshit)

Le paradoxe de Lanchester ou le terrorisme écologique : des mots verts à nos paradoxes comportementaux


Dans son livre "Comment saboter un pipeline", Andreas Malm évoque ce questionnement du romancier et essayiste britannique John Lanchester. Y est abordé la question épineuse de la violence dans le militantisme :

Il est étrange et frappant que les militants pour le climat n’aient pas commis d’actes de terrorisme.Après tout, le terrorisme est de loin la forme d’action politique individuelle la plus efficace du monde moderne etle changement climatique est un sujet qui tient au cœur des gens tout autant que, mettons, les droits des animaux. C’est d’autant plus remarquable quand on pense à la facilité avec laquelle on peut faire sauter des stations-service ou vandaliser des SUV. Dans les villes, les SUV sont exécrés par tous ceux qui ne les conduisent pas ; et dans une ville de la taille de Londres, dans un délai très bref, il suffirait de quelques dizaines de personnes pour rendre tout bonnement impossible la possession de ces véhicules en rayant systématiquement leurs flancs avec des clés, ce qui coûterait chaque fois plusieurs milliers de livres à leur propriétaire. Imaginons que cinquante personnes vandalisent chacune quatre voitures pendant un mois : six mille SUV bousillés en un mois et les tracteurs de Chelsea auront vite disparu de nos rues. Alors, pourquoi ce genre de choses n’arrive-t-il pas ? Parce que les gens auxquels le changement climatique tient à cœur sont simplement trop gentils, trop éduqués, pour faire quoi que ce soit de cet ordre ? (Mais les terroristes sont souvent des gens extrêmement éduqués.) Ou serait-ce que, d’une certaine manière, même les gens auxquels le changement climatique tient le plus à cœur ne peuvent toujours pas se résoudre à y croire totalement ?” (Source : Comment saboter un pipeline ? de Malm)

Si certains lecteurs ont résolu ce paradoxe, merci de me contacter. J'avouerais ici que la question de la violence au sein des sociétés démocratiques comme la nôtre semble irréductible.

  1. L'aporie réside dans le fait que l'usage de la violence pour réaliser un changement de modèle nécessaire et urgent se heurte à l'incompatibilité fondamentale entre violence et démocratie.

  2. Pour qu'un changement de modèle soit véritablement démocratique, il doit être légitimé par le consensus populaire et des processus institutionnels. La violence peut délégitimer le changement, car elle va à l'encontre de la volonté collective et des mécanismes de décision démocratiques.

  3. Selon Malm cependant, dans le contexte de l'urgence climatique, des actions plus radicales et directes, y compris le sabotage d'infrastructures fossiles, sont justifiées :

    1. Malm argumente que les moyens traditionnels de lutte contre le changement climatique, comme les manifestations pacifiques, les pétitions et les négociations politiques, se sont avérés largement inefficaces pour provoquer des changements significatifs face à l'urgence climatique.

    2. Malm soutient que l'ampleur de la crise écologique exige des actions plus directes et radicales pour interrompre les infrastructures qui alimentent le réchauffement climatique, telles que les pipelines et les centrales à charbon. Elles visent un capital matériel et non humain. Selon lui, ces actions peuvent être perçues comme des actes de légitime défense au nom de la protection de la planète et des générations futures.

    3. Malm reconnaît la tension entre l'usage de la violence et les principes démocratiques. Cependant, il argue quela situation exceptionnelle de crise climatique justifie des mesures exceptionnelles.
      Il affirme que les démocraties ont souvent toléré, voire légitimé, des formes de violence ou de coercition dans des contextes perçus comme des urgences nationales ou globales (par exemple, en temps de guerre).

    4. Malm rappelle que de nombreux mouvements sociaux ayant conduit à des changements significatifs ont eu recours à des formes de violence ou de sabotage, citant les suffragettes et les mouvements de libération nationale comme exemples.
      Il considère que ces actions ont souvent été cruciales pour attirer l'attention sur des causes ignorées ou réprimées et pour forcer des changements politiques.

L'écologie sur Cnews vue par Pascal Praud

Je remercie ici la journaliste Nina Guérineau qui, dans le cadre de son mémoire, m'a transmis un corpus d'une dizaine de pages contenant des retrasncriptions de l'émission de Pascal Praud. Je vous livre ici l'analyse linguistique de ce corpus.

Au niveau émotionnel

Le discours est basé sur un champ (mais on pourrait aussi dire un « chant ») émotionnel fort, dans le sens où il est RÉPÉTÉ, DIVERSIFIÉ et PULSIONNEL. Plus précisément, les émotions les plus présentes sont celles de la COLÈRE (« c’est un scandale »), mais aussi et surtout de l’HUMILIATION qui traduit la position hiérarchiquement basse de ce que l’on pourrait nommer « les déclassés », « les invisibles », les « déplorables » façon USA, les « Gilets Jaunes » façon FR.Ces deux émotions très complémentaires (car la colère succède souvent à l’humiliation) sont en filigrane de tout le corpus. Une émotion qui infuse le discours mais aussi la posture du présentateur Pascal Praud ("Moi je suis très ému de ce que vous dîtes, je suis très ému. (répété) ») Nous avons donc à la fois une émotion construite PAR le discours (dite / explicite) et DANS le discours (sous-entendue/ implicite). Le mot RÉVOLTE est l’un des plus répétés, et convient bien à l’émotion de colère (être révolté). 

Au niveau du récit

On retrouve la vision dichotomique et classique des récits héroïques qui mettent en scène un HÉROS ou SUJET et un ANTI-HÉROS ou ANTI-SUJET. Ainsi deux camps s’opposent de manière dite et explicite :

- un camp du Bien : Les paysans humiliés, »stigmatisés », le monde d’avant, l’ancien monde « sans diversité » 

- un camp du Mal : Minorités actives / Une écologique politique et punitive / Monde médiatique qui caricature / Les petites hommes gris de Bruxelles ou Paris "qui décident de tout" (sans être élus) / les "mondialistes", "pour des raisons purement idéologiques ont décidé de vous faire la peau. " / "prophètes de malheur", "fées carabosses"  "la folie des écolos", "la dinguerie européenne" / les éco fascistes /  "la folie normative européenne, de la bureaucratie, de la dinguerie écologique, de l’inefficacité du gouvernement français" / "Ce sont des militants, ce sont des idéologues et ils iront jusqu’au bout pour vous faire mourir s’ils le peuvent" / "Eugénie, il faut arrêter avec l’écologisme, les illuminés ». 

Il est intéressant de constater comment Pascal Praud lui-même narrativise son discours en reprenant ces métaphores du conte de fées ou de la fiction : les prophètes de malheur, les fées carabosses », « les petits hommes gris ».

Métaphores et Eléments de langage

Pour rappel, les éléments de langage désignent un ensemble de phrases ou d'expressions soigneusement élaborées et préparées pour communiquer de manière stratégique et façonner l'opinion publique ou la perception d'un événement. Ici, ces métaphores (ci-dessus) du conte ou de la fiction sont très puissantes : elles permettent à la fois la mémorisation par la caricature, l’humour et la simplification. Les éléments de langage permettent de condenser le récit et les valeurs. C’est aussi cela la force des éléments de langage incarnés sous la forme de la métaphore. Ils dessinent un damier stratégique qui permet d’opposer un Monde de valeurs.

Au niveau des valeurs / de la posture

Le journaliste revendique un DISCOURS DE VÉRITÉ ("C'est ça la réalité »). Pascal Praud revendique DIRE LE VRAI ou PARLER LA VRAIE VIE. Ce LANGAGE DE VÉRITÉ permet de s’opposer aux mensonges et à la duplicité des idéologues, duplicité qui n’est pas que sous-entendue mais verbalisée et passant par la NOMINATION (par exemple, de Canfin soulignée : "C’est une duplicité qu’on peut deviner dans la manière dont il s’exprime. ») Une posture sans doute parfois périlleuse pour un présentateur télé qui doit très bien gagner sa vie, cela dit en passant. 

Paradoxes

Selon Pascal Praud, il y aurait une VÉRITÉ existante sans idéologies, une vérité qui pourrait être en contact direct avec le réel ("L’écologie politique est une idéologie, et comme dans toutes les idéologies le réel n’existe pas »). Cela pourrait être intéressant de lier cette dimension de langage (contact direct avec le réel) avec la dimension politique du « conservatisme ». C’est une hypothèse. J’observe simplement que les courants universitaires, et plutôt de gauche, tendent à déconstruire le réel (dans la veine de la « French Theory » qui a connu tant de succès aux States, et de fait, je me demande si « être de droite » ne pourrait pas s’observer à travers le refus de cette déconstruction. Ce qui semble un peu périlleux c’est de continuer à tenir des discours du type « moi, je dis le vrai, le réel » versus les autres. Mais c’est sans doute le propre du discours politique, contaminé par les logiques publicitaires. Emmanuel Macron le fait aussi. 

Pour le présentateur, il « faut mener un combat culturel », qui selon lui n’est donc ni idéologie, ni construction, mais en lien avec le vrai et le réel. C’est à l’opposé de toutes les recherches depuis plusieurs décennies en Sciences Humaines et Sociales… A moins que le discours porté par Pascal Praud soit un discours davantage moral, voire religieux ? Hypothèse à creuser. 

Interprétations : l'écologie dans le débat public

J’aimerais rappeler ces mots de Bruno Latour :

"Si l’on parlait d’économie, par exemple, il y avait une Droite qui voulait aller toujours plus loin vers le Global alors qu’il y avait une Gauche (mais aussi une Droite plus timide) qui aurait souhaité limiter, ralentir, protéger les plus faibles contre les forces du Marché (les majuscules sont là pour rappeler qu’il s’agit de simples repères idéologiques). Inversement, si l’on parlait de « libération des mœurs » et, plus précisément, de questions sexuelles, on trouvait une Gauche qui voulait aller toujours plus loin en avant vers le Global, alors qu’il y avait une Droite (mais aussi une Gauche) qui refusait fortement de se laisser entraîner sur cette « pente glissante ». C’est que l’ancienne grille qui permettait de distinguer les « progressistes » des « réactionnaires » se définissait, depuis l’irruption de la « question sociale » au XIXe siècle, par les notions de classes sociales, elles-mêmes dépendantes d’une certaine position que ces classes occupaient dans ce qu’on appelait le « processus de production » » 

Je remets ces mots ici car ils me semblent justes. Et il me semble que l’opposition Gauche / Droite étant désormais poreuse, pour ne pas dire explosée et non pertinente, il semble que désormais, et c’est peut-être l’aspect qui rend la parole de Praud / Cnews entendable, il est plutôt pertinent de repenser l’échiquier politique comme une opposition HAUT / BAS, plutôt que DROITE / GAUCHE. En somme, il y a les « gagnants » et les « perdants » (financièrement parlant). C’est sous cette lecture que l’on peut comprendre le rapprochement LFI-RN sur certains aspects (révolutionnaires, extrémistes, etc.) 


Selon Bruno Latour, ces clivages Gauche Droite ou Bas Haut sont déjà dépassés, il suggère que la politique doit se reconfigurer autour de nouvelles questions, principalement celle de la relation entre les sociétés humaines et la Terre. Latour introduit l'idée de la Terre comme acteur politique central, un concept qu'il développe autour de la notion d’ HABITABILITÉ.

Selon Latour, les nouveaux clivages politiques devraient se former entre ceux qui reconnaissent cette interdépendance et cherchent à protéger les systèmes vitaux de la Terre (qu'il pourrait appeler "Terrestres"), et ceux qui continuent d'exploiter ces systèmes sans tenir compte de leur durabilité (les "Modernes", dans sa terminologie). Ce cadre théorique redéfinit les enjeux politiques autour de la capacité de répondre à la crise écologique et propose un modèle dans lequel les considérations environnementales et la justice sociale sont inextricablement liées.

Latour critique ainsi profondément les structures politiques existantes pour leur incapacité à incorporer ces dimensions écologiques et plaide pour une nouvelle orientation politique qui place la Terre au cœur des préoccupations politiques (théorie GAÏA).

Elodie Mielczareck

ELODIE MIELCZARECK est sémiologue. Après un double cursus universitaire en lettres et linguistique, elle s'est spécialisée dans le langage et le « body language ». Également formée aux techniques de négociation du RAID et au neurocognitivisme, elle est conférencière sur le thème du non-verbal et de l'intelligence relationnelle, conseille des dirigeants d'entre-prise et accompagne certaines agences de communication et de relations publiques internationales. Très régulièrement sollicitée par les médias, elle décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est l'auteure de Déjouez les manipulateurs (Nouveau Monde, 2016), de La Stratégie du caméléon (Cherche-Midi, 2019), de Human Decoder (Courrier du Livre, 2021), et de Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

https://www.elodie-mielczareck.com
Précédent
Précédent

Le nudge appliqué à la linguistique : comment les mots et le langage influencent vos comportements ou la magie de la neurocommunication

Suivant
Suivant

Communication de crise : le cas Boeing