La symbolique du vêtement en politique

Que nous racontent les codes vestimentaires des représentants politiques ? Comment analyser la robe d’AOC (Alexandria Ocasio-Cortez) ? Voire la robe de Cécile Duflot, ou encore la parure bouclée de Ségolène Royale ? Décryptage.

1- N'y-a-t'il pas un risque pour un.e élu.e, d'autant plus de gauche radicale, à jouir d'une image glamour ?

Alexandria Ocasio-Cortez avec sa robe porteuse de revendication à un “diner de riches”…

Alexandria Ocasio-Cortez avec sa robe porteuse de revendication à un “diner de riches”…

En effet, au Met, AOC porte une robe qui appelle à la taxation des riches alors que le diner auquel elle a participe coûte 200 000$ … C'est une question passionnante car elle rélève de la psychologie et du comportemental. Elle touche à ce qu'on appelle la "dissonance cognitive. C'est une théorie développée par Léon Festinger dans les années 50. Par exemple, qu'est-ce-qui pousse les gens à fumer alors que c'est cancérigène ? Comment participer à un diner qui coute 200.000 dollars tout en étant de gauche radicale ? Les études montrent que, contrairement à ce que l'on pense, les personnes changent leurs idées et non leurs actions. C'est pour cela qu'en politique, l'hubris - ou folie des grandeurs - n'est jamais loin, c'est-à-dire la tentation de succomber au pouvoir sous toutes ses formes. 

2- Faut-il nécessairement avoir un discours de "gauche" pour avoir l'air "cool" ?

Question fondamentale. Surtout lorsque les frontières entre "la gauche" et "la droite" disparaissent. Pour se rappeler de la distinction entre les deux, j'aime me référer à la citation de Pierre Bourdieu interviewé par Pierre Carles :

C'est quand même le rapport à l'Ordre. Les gens qui sont pour l'Ordre tel qu'il est. Et puis les gens qui trouvent qu'il n'est pas bien comme il est (...) ça se voit dans les rapports sociaux, dans les manières de se comporter avec les  gens (...) Prenez Ségolène Royal, instantanément on voit qu'elle n'est pas de gauche (...) elle a un habitus, une manière d'être, une manière de parler qui vous dit elle est de droite(... )

(in La Sociologie est un sport de combat, Pierre Carles)

Etre à gauche c'est foncièrement s'opposer à l'Ordre établi. Là où être de droite c'est vouloir conserver l'Ordre établi. Dans les représentations et l'imaginaire collectif, on est donc plus "cool" et "laxiste" à gauche. Sans doute que cette définition mérite d'être approfondie. 

3- Quels en sont les pièges d’une communication digitale à outrance pour un personnage politique ? 

Poursuivons avec la personne d’Alexandria Ocasio-Cortez. Elle a su créer un storytelling fort autour de son histoire personnelle, son engagement et son statut. Tout comme l’avait fait Barack Obama avant elle. Leurs photographies et mises en scène sur les réseaux sociaux me rappellent souvent que l'écart entre "compromis" et "compromission" est mince.

Christian Thuderoz nous le rappelle : alors que le compromis est orienté vers une futurité commune, la compromission se mesure à l’aune d’un intérêt égoïste, sans coopération et avec un faible souci d’autrui. A voir dans le cas d'AOC ce qui lui procure le plus de plaisir : sa mise en scène personnelle dans une belle robe chic lors d'une soirée de Gala ou bien la défense de ses idéaux pour le collectif ? 

4 - C’est souvent le corps des femmes qui est commentés ? Plus que celui des hommes, comment l’expliquer ?

En effet, on se souvient que les cheveux bouclés de Ségolène Royale avaient fait “polémique” durant la campagne présidentielle. De même, la robe fleurie de Cécile Duflot à l’Assemblée Nationale avait poussé à de nombreux commentaires.

Les cheveux bouclés de Ségolène Royale, ou la robe fleurie de Cécile Duflot, ont amenés à de nombreux commentaires sur leur physique.

Les cheveux bouclés de Ségolène Royale, ou la robe fleurie de Cécile Duflot, ont amenés à de nombreux commentaires sur leur physique.

A noter qu’il n’est pas nécessaire que les femmes portent des vêtements, une étoffe, une parure ou une chevelure particulière pour être ramené à leur condition féminines. L’événement ci-dessous nous rappelle que les femmes dans l’espace public, peu importe leurs apparences ou leurs aspirations, restent des “poulettes” qui “jacassent”. Des lieux communs qui perdurent, aussi bien répandus par les femmes que par les hommes d’ailleurs.

L’anthropologue Françoise Héritier nous rappelle :

“Que ce soit dans le vocabulaire de la parenté, dans l'alliance, et dans quelque domaine du social, les catégories du masculin et du féminin n'ont pas le même poids, la même importance.”

Ainsi, le corps des femmes fait toujours parler davantage que celui des hommes, en partie parce qu’il est davantage investi par la société et la culture. Le corps des femmes est davantage scruté, manipulé… et violenté. C’est davantage admis. Prenons un seul exemple, celui des violences obstétricales par exemple. Le corps des femmes ne leur appartient pas. Il est donc intéressant de voir comment certains mouvements contestataires se le réapproprient.

5- A quoi pensez vous en particulier ?

Je pense notamment à l’utilisation de la nudité chez Les Femen. Le corps est détourné pour y porter un message à même la peau. Ce n’est plus le corps “commercial” de l’espace public (publicités de lingerie, voiture, gel douche…) et exploité par les marques, ni même le corps “exploré” et offert à la science, c’est-à-dire le lieu d’une intimité refusée. Le corps contestataire des femmes devient un lieu de réappropriation. C’est un corps qui ne correspond plus aux injonctions de l’espace public et normé : il est nu mais en 3D, il est individualisé et non générique, il est narratif et non plus descriptif.

Activiste Femen dont le corps sert de “pancarte géante” : lieu de ré-appropriation du politique et de l’espace public.

Activiste Femen dont le corps sert de “pancarte géante” : lieu de ré-appropriation du politique et de l’espace public.

Elodie Mielczareck

ELODIE MIELCZARECK est sémiologue. Après un double cursus universitaire en lettres et linguistique, elle s'est spécialisée dans le langage et le « body language ». Également formée aux techniques de négociation du RAID et au neurocognitivisme, elle est conférencière sur le thème du non-verbal et de l'intelligence relationnelle, conseille des dirigeants d'entre-prise et accompagne certaines agences de communication et de relations publiques internationales. Très régulièrement sollicitée par les médias, elle décrypte les tendances sociétales de fond, ainsi que les dynamiques comportementales de nos représentants politiques et autres célébrités. Elle est l'auteure de Déjouez les manipulateurs (Nouveau Monde, 2016), de La Stratégie du caméléon (Cherche-Midi, 2019), de Human Decoder (Courrier du Livre, 2021), et de Anti Bullshit (Eyrolles, 2021).

https://www.elodie-mielczareck.com
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